Même si le commerce de pesticides toxiques couvre également d'autres régions, et même si certains pays importateurs (comme l'Inde ou la Chine) sont désormais des puissances mondiales, la permissivité européenne vis-à-vis de ces exportations rappelle que les relations commerciales sont restées très asymétriques entre les anciennes "métropoles" européennes et leurs anciennes "colonies" ou leurs anciens "protectorats".

Environ 15 % de la consommation annuelle mondiale de pesticides interdits en Europe provient de l’Union européenne.

Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, ces produits représentaient en 2018 jusqu’à 71% du volume et de la valeur totale des pesticides importés depuis l'Union européenne !

Selon le réseau d'ONG contre le recours aux pesticides PAN Europe, 714 000 tonnes de pesticides agricoles ont été exportés depuis l’Europe en 2022, dont 81 615 tonnes de pesticides interdits.

En ce qui concerne les exportations depuis la France, une enquête de l'ONG suisse PublicEye a révélé qu’entre janvier et septembre 2022, "les autorités françaises ont approuvé 155 demandes d’exportation pour des pesticides interdits en France et dans toute l’UE (...) Ces exportations concernent 14 molécules bannies de l’agriculture européenne". Trois quarts de ces produits étaient destinés à des pays à revenus faibles ou moyens, comme le Brésil.

Dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, les règlementations sur les pesticides sont souvent moins strictes qu’en Europe.

Au Brésil, par exemple, la limite de résidus autorisés de glyphosate est 5000 fois plus élevés que dans l'Union européenne.

L’absence de règles spécifiques, de formation, de contrôle de leur utilisation et d’équipement de protection individuels rend le risque d’exposition plus élevé, sans compter qu’une plus grande partie de la population travaille généralement dans l’agriculture. Et, malheureusement, le coût des analyses de résidus de pesticides complique la mesure d'impact de cette surexposition à des pesticides très toxiques.

Un rapport publié en 2024 par l'Alliance internationale pour une régulation des pesticides (IPSA) estime néannmoins que "plus de 90% des décès dûs à l’empoisonnement aux pesticides arrivent dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires".

L'une des chercheuses ayant coordonné la réalisation de ce rapport, Larissa Mies Bombardi, parle de "colonialisme chimique" pour mettre en avant le système de dépendance aux pesticides encouragé par les multinationales européennes, et dénoncer ces exports de produits particulièrement toxiques.

Cette expression lui permet de dénoncer à la fois le "double standard" des anciennes métropoles, qui protègent leur propre population mais pas celle de leurs anciennes colonies, le développement d'une agriculture vouée à l'exportation et à la spéculation financière plutôt qu'à nourrir la population, et la politique d'expansion de gigantesques "exploitations agricoles" qui privent progressivement les peuples autochtones et des milliers de paysannes de leurs moyens de subsistance.

Elle s'en explique dans cette interview accordée au média Basta !

Les exportations de pesticides vers les pays "en voie de développement" ne réduisent pas l'insécurité alimentaire... bien au contraire !

D'après la chercheuse brésilienne Larissa Mies Bombardi, l’utilisation d’agrotoxiques au Brésil a augmenté de 78% entre 2010 et 2021. Le Brésil est désormais le troisième plus grand consommateur de pesticides au monde.

90% de ces produits sont utilisés dans seulement cinq cultures : soja, maïs, coton, canne à sucre et pâturages (pour des élevages destinés à la production de viande). Or, environ 30% des pesticides utilisés au Brésil sont interdits par l’Union Européenne.

D'autre part, le développement de l'agro-industrie au Brésil est synonyme d’accaparements des terres et de déforestation, en vue de produire du bétail ou des matières premières agricoles pour l'exportation. Tandis que les surfaces agricoles ont augmenté au Brésil de 30% , l’insécurité alimentaire a considérablement augmenté dans le pays.

Export de pesticides : un "colonialisme chimique" ?