En photo : Jackia Begum, 38 ans, a été grièvement blessée lors du désastre du Rana Plaza et son emploi d’artisane à temps partiel lui rapporte aujourd’hui très peu : “je m’en souviendrai jusqu’à ce que je meure”

Le 24 avril 2013, au Bangladesh, le Rana Plaza s’effondrait. La chute de l’immeuble de 8 étages qui abritait 6 usines textiles, a coûté la vie à plus de 1 138 personnes (principalement des femmes) et en a blessé plus de 2 000. C’est à ce jour l'accident industriel le plus meurtrier au monde depuis la fuite de gaz de Bhopal en Inde en 1984. Les victimes fabriquaient des vêtements pour des marques ou des distributeurs occidentaux comme H&M, Auchan ou Benetton. Depuis le drame, plus de la moitié des survivant·e·s sont toujours au chômage. Environ 500 nouvelles personnes ont été blessées et plusieurs dizaines d'autres ont été tuées dans l'industrie du vêtement au Bangladesh.

Si un fonds d’indemnisation a rapidement été mis en place sous l’égide de l’Organisation internationale du travail (OIT), à l’initiative des ONG et des syndicats internationaux, il a fallu deux ans de mobilisation internationale pour que les multinationales concernées y contribuent.

6 ans après, des survivant·e·s vulnérables et une compensation partielle...

Le taux de chômage parmi les survivant·e·s a augmenté de presque 10% durant les deux dernières années, selon l’étude annuelle publiée aujourd’hui par ActionAid Bangladesh, qui analyse l’état de santé, le bien-être et la situation économique de ces personnes.

Les organisations qui ont fourni de l’aide d’urgence après le drame, ainsi que les organismes militant en faveur des droits des femmes dans le monde du travail, ont suivi 1400 survivant·e·s du Rana Plaza depuis 2013. En interviewant 200 d’entre eux cette année, il apparaît que :

20.5 % des survivantes et survivants voient leur état de santé se dégrader de plus en plus ;
51% restent sans emploi à cause de leurs blessures physiques et séquelles psychologiques : parmi eux, 74% n'ont pas pu reprendre leur activité à cause de blessures et 27% à cause de troubles psychologiques qui résultent directement de l’accident ;
10.5% sont encore traumatisé·e·s ;
seulement 15.5% des survivant·e·s qui occupent un emploi sont retourné·e·s travailler dans l’industrie du prêt-à-porter.

Des progrès ont été faits après le Rana Plaza et ce grâce à la pression internationale qui en a découlé, puisque les grandes marques internationales ont été poussées à signer des accords pour forcer les gérants et patrons d’entreprises à se conformer aux standarts de protection des travailleur·se·s. Le gouvernement du Bangladesh a aussi modifié sa loi sur le travail pour contraindre les entreprises à établir des “fonds de bien-être pour les employés” et mettre un terme aux violations des droits humains qui empêchaient les travailleurs de former des syndicats. Pourtant, les marques ocidentales continuent de sous-traiter pour entretenir un degré de séparation entre leur responsabilité vis-à-vis des salariés et des violations de leurs droits sociaux.

6 ans après, les règles internationales doivent changer !

En l’absence de contrainte juridique, les contributions des entreprises étaient en effet volontaires. Et certaines d’entre elles n’ont pas souhaité y contribuer pour ne pas reconnaître leur responsabilité dans cette catastrophe.

Vous avez été plus de 100 000 à vous mobiliser pour qu'Auchan et Benneton finissent par contribuer au fond d'indemnisation. Le procès que nous avons lancé en 2014 contre Auchan dépend toujours du Ministère des affaires étrangères français qui doit lancer une commission rogatoire internationale. Il permettrait d'établir juridiquement la responsabilité de la multinationale qui aurait dû s'assurer de conditions de travail sûres et décentes chez son sous-traitant.

Au final, le Rana Plaza Donors Trust Fund a atteint 30 millions de dollars, répartis entre les 3 000 personnes et familles directement affectées. Mais pour obtenir réellement justice, avec des dommages et intérêts proportionnels au préjudice subi, tout reste à faire. A commencer par remonter aux maisons mères et entreprises donneuses d’ordre, une tâche impossible si l’on ne fait pas évoluer le cadre normatif international. L’impunité ne peut plus durer, les règles doivent changer. La loi sur le devoir de vigilance, promulguée en France en 2017, devrait servir d’exemple. Ces obligations doivent désormais être inscrites dans le droit européen et international.

C'est pourquoi nous soutenons les négociations en cours à l'ONU pour un traité encadrant les pratiques des multinationales, nous demandons à l'Union européenne d'adopter une directive européenne sur le devoir de vigilance, et nous demandons au gouvernement français de s’assurer que la loi française sur le devoir de vigilance soit appliquée de manière effective.

Dans le cadre de notre campagne Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales, nous demandons également à l'Union européenne de révoquer les clauses d’arbitrage entre investisseurs et Etats dans les accords de commerce et d’investissement en vigueur, et de ne plus conclure d'accords de ce type à l’avenir

Lire notre dernier communiqué de presse

Depuis le drame du Rana Plaza, le sort des travailleur·se·s du textile au Bangladesh semble avoir disparu de l'actualité mondiale. Mais dans un monde post-#MeToo, les harcèlements et abus sexuels récurrents au sein des usines sont de moins en moins tolérés. Il y a six ans, les marques ont convenu d'assainir leurs pratiques en matière de santé et de sécurité, mais pour que le secteur du textile évolue, ces femmes ont besoin d'un niveau de protection plus large que la simple sécurité des bâtiments, elles doivent également être à l'abri des abus !

Rana Plaza : 6 ans après