Confrontée au manque de données sur les violences sexistes et sexuelles au travail, ActionAid Grèce a mené deux enquêtes auprès de deux groupes représentatifs : la première concerne tous milieux professionnels, tandis que la deuxième se concentre sur les activités du tourisme, de la restauration et plus généralement des services, qui emploient actuellement le plus de travailleur∙se∙s en Grèce, souvent sans contrat de travail.

Les résultats de cette enquête sont consternants. L'association a donc lancé une vaste campagne d'information et de sensibilisation du public : Not part of our job ("ça ne fait pas partie du travail").

Un phénomène massif, dans tous les secteurs

90% des femmes interrogées au cours de la première enquête, tous secteurs d'activité confondus, affirment avoir été témoins ou victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail. Dans 95% des cas, l'agresseur∙se était un homme.

La moitié des femmes interrogées rapportent avoir elles-mêmes subi ces violences et près d’un quart affirment que l’agresseur était un client. Les responsables ou dirigeants de l’entreprise étaient impliqués dans un cas sur cinq, et plus d’un tiers des abus venaient d'un supérieur hiérarchique.

Il ne faut donc pas s'étonner si une femme sur cinq n’est pas rassurée au travail en Grèce. 94% des femmes interrogées trouvent nécessaires d'établir et de mettre en œuvre des réglementations par leur employeur, et 86% déclarent que les femmes ne s'expriment pas par peur de perdre leur emploi.

Un risque accru dans les métiers du tourisme

"Il y a des commentaires et des "petites blagues" que vous laissez simplement passer. Elles sont continuelles. Et puis il y a les regards sexuellement suggestifs d'un client qui vous surveille lorsque vous travaillez derrière le bar. Celui qui fait ça sait ce qu'il fait. Et c'est encore plus ennuyeux quand vous montrez que vous n'en voulez pas et que le type continue. C'est un comportement qui implique un "pouvoir", parce que vous ne pouvez pas l'arrêter, même s'il vous agace. Et il continue, de manière autoritaire."

Ε., 41 ans, travaille dans un restaurant

Dans le secteur du tourisme, de la restauration et des services, 94% des femmes interrogées ont été témoins ou ont subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. 85 % des femmes actuellement employées dans ces secteurs d'activité ont déjà été victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail.

La pratique des pourboires, notamment, pose problème : 48% des femmes ont déclaré devoir supporter des comportements de harcèlement sexuel pour obtenir leur pourboire.

Dans la grande majorité des cas de harcèlement sexuel, l'auteur est un homme (98 %), le plus souvent un client (48 %) ou un collègue (41 %), ce qui correspond aux résultats des enquêtes existantes au niveau international sur les violences sexistes et sexuelles dans l'industrie du tourisme.

Dans beaucoup d'autres cas, il s'agit d'un employé ou d'un cadre en position de supériorité hiérarchique. Dans un tiers des cas, c'est même le directeur ou le propriétaire de l'entreprise qui est impliqué.

"Le fait que "le client a toujours raison" joue un rôle important. Dans un commerce saisonnier sur une île par exemple, le client est un touriste qui veut juste que quelqu'un fasse le travail à sa place, sans vraiment faire attention à la personne en face de lui. Je rencontre constamment des touristes masculins qui se comportent très mal avec les serveuses. Ils sont dans un endroit pour quelques jours, ils ne connaissent personne et leurs actes n'ont aucune conséquence".

Α., 26 ans, travaille dans le tourisme sur une île grecque

Le travail dans l'industrie du tourisme, de la restauration et des services expose les femmes à des risques accrus de violences sexistes et sexuelles graves. Alors que 13% des femmes vivant en Grèce déclarent avoir subi une agression sexuelle ou un viol, la proportion est de 22% dans les secteurs du tourisme, de la restauration et des services. Et alors que 18% des femmes vivant en Grèce ont déjà été victimes de chantage sexuel, la proportion est de 27% dans ces secteurs !

Parmi celles qui ont parlé de leur expérience, 72% l'ont rapportée à des amis, 43% à un collègue, 39% à leur compagnon, et seulement 21% à une personne compétente sur leur lieu de travail.

L'impunité semble de mise puisque, dans 53 % des cas de violences sexistes et sexuelles, il n'y a pas eu de conséquences pour l'auteur et celui-ci n'a présenté des excuses à la victime que dans 12 % des cas.

L'analyse d'ActionAid Grèce

"Vous devez vous battre pour vous faire accepter sans maquillage, ou sans uniforme sexy, ou sans parfum. On peut vous réprimander pour ne pas avoir porté de mascara, toujours sur ce ton passif-agressif : "Que s'est-il passé ? Pourquoi tu ne fais pas tes yeux avec un crayon ? Tu n’as pas de crayon ?"
Ils se mettent en colère parce que vous parlez aux clients sur un ton formel, pour les tenir à distance. Mais moi, je sais pourquoi je leur parle sur un ton formel. C'était ma façon de leur mettre un panneau "stop". Seulement le patron vous voit et vous fait une remarque, sans vraiment le dire et sans que vous ayez rien à lui répondre. "

Α., 37 ans, travaille dans un café

Les résultats de ces deux enquêtes permettent de mieux comprendre le phénomène. Ils mettent en évidence des aspects importants si l'on veut lutter efficacement contre le harcèlement sexuel et les violences sexistes au travail. Ils pointent plusieurs facteurs de risque :

une répartition genrée des postes, entre des cadres majoritairement masculins et des sulbalternes majoritairement féminines,
des relations de pouvoir et d'autorité déséquilibrée, notamment en raison de postes précaires et/ou non déclarés,
les préjugés fondés sur le genre,
la sexualisation des relations professionnelles.

A ces facteurs de risques s'ajoutent le non-respect de la législation en vigueur contre le harcèlement sexuel, et l'absence de règles particulières sur le lieu de travail, qui rendent difficile le signalement des faits et la sanction des coupables.

"C'est gênant de travailler dans les hôtels parce que c'est leur chambre après tout, c'est leur maison pour quelques jours. Et c'est moi qui entre dans leur maison, et certains diraient que leur comportement n'est pas du harcèlement, c'est une ligne très mince parce qu'ils pourraient juste dire qu'ils se promènent nus dans leur maison".

B., femme de 39 ans, travaillant dans un hôtel

Devant l'ampleur et la fréquence des comportements de harcèlement sexuel ActionAid demande à l’Etat grec :

la ratification de la convention 190 de l'OIT contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail,
un suivi adapté de sa mise en œuvre, par des enquêtes régulières,
l’élaboration d'un plan d'action national pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes,
le renforcement des structures de soutiens : refuges, lignes téléphoniques, centres d’écoute...

ActionAid Grèce demande aussi aux employeurs :

d'adopter des politiques de "tolérance zéro" face aux violences sexistes et sexuelles dans le cadre du travail,
de former le personnel de l’entreprise à prévenir et sanctionner les comportements problématiques,
promouvoir les femmes à des postes de responsabilité en vue de consolider l'égalité,
établir un climat de confiance en soutenant les travailleuses.

"Dans ce secteur, vous êtes en contact avec des dizaines de personnes chaque jour.Vous n'êtes pas dans votre espace, vous n'êtes pas dans votre bureau, vous entrez constamment dans leur espace, leur table, l'espace qu'ils ont aménagé et auquel ils vous appellent constamment et vous devez leur répondre. Dans notre secteur, parce qu'il s'agit de service à la clientèle, les clients voient l'employé comme un serviteur."

D., 40 ans, travaille dans un café

Illustration tirée du rapport d'ActionAid Grèce, réalisée par l'agence Designature

Ça ne fait pas partie du métier