Des ouvrier·ère·s témoins d’agressions sexuelles commises dans l’usine à l’encontre de leurs collègues, des femmes victimes de violence pour ne pas avoir atteint les objectifs et d’autres licenciées parce qu’elles étaient enceintes ne représentent qu’une partie des expériences choquantes de violence et de harcèlement dont témoignent les travailleur·se·s de l’habillement du Bangladesh.

L’enquête menée à Dhaka, la capitale du Bangladesh, auprès de 200 ouvrier·ère·s textiles dont 181 femmes, a révélé que 80% d’entre elles avaient déjà subi ou été témoins de harcèlement sexuel ou de violences au travail. 10% des femmes interrogées affirment être actuellement sujettes au harcèlement sexuel, à des brutalités et à des agressions sur leur lieu de travail.

Ouvrière dans une usine textile au Bangladesh — « Je suis ouvrière du textile. Je mérite de vivre comme un humain. »
Rahima [prénom modifié] : « Cela fait quatre ans que je travaille dans l’usine actuelle en tant qu’ouvrière mais onze ans que je travaille dans l’industrie du textile. Avec les heures supplémentaires, je travaille soixante-dix heures par semaine à l’usine. »

Les gouvernements et les entreprises doivent prendre leurs responsabilités

D’après un sondage en ligne mené par la société YouGov pour ActionAid International auprès de 7 000 personnes au Royaume-Uni, en Australie, en Suède, aux Etats-Unis, en Irlande et aux Pays-Bas, 71% d'entre elles se décrivent comme féministes et se disent clairement concernées par les inégalités au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Pourtant, seulement 9% d’entre elles déclarent acheter des vêtements éthiques, principalement en raison de la difficulté et du coût pour identifier des marques qui traitent leurs ouvrières et ouvriers de manière juste.

Pour Dinah Fuentesfina, notre directrice de campagne au niveau international, “les consommateur·rice·s veulent que toutes les entreprises, pas simplement celles qui font payer plus cher leurs produits « équitables », suivent les mêmes règles et mettent un terme à la violence faite aux femmes au travail.”

Il y a vingt ans, un traité historique de l’Organisation Internationale du Travail a obligé les entreprises à éradiquer le travail infantile des chaînes d’approvisionnement mondiales, maintenant il est temps de faire la même chose pour enrayer le fléau de violence et de harcèlement contre les travailleuses.

Les ouvrier·ère·s de l’industrie du textile au Bangladesh sont quotidiennement confronté·e·s à des conditions de travail dangereuses. Six ans après la tragédie du Rana Plaza, causant la mort de 1 100 ouvrier·ère·s de l’habillement, tou·te·s les sondé·e·s ont fait état d’un certain degré d’inquiétude quant à la sécurité sur leur lieu de travail ou à proximité. 90% affirment que leur travail affecte négativement leur niveau de santé, avec des problèmes tels que des lésions oculaires, des blessures aux mains et aux pieds, d’intenses douleurs au dos ou encore l’épuisement et la dépression.

Pour Farah Kabir, directeur d’ActionAid Bangladesh, “beaucoup de fabricants dans l’industrie de l’habillement prennent des mesures importantes pour améliorer la sécurité des bâtiments. Il est maintenant temps de s’attaquer aux violences sexistes qui sont, aujourd’hui encore, une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes qui fabriquent les vêtements que nous portons.”

“Ce vêtement m’a coûté mon sang, ma sueur et ma dignité.”

Shopna [prénom modifié] a été ouvrière dans l’industrie du textile pendant 16 ans. Au fil des années, elle a subi de multiples avances sexuelles non désirées et a été témoin d’agressions envers d’autres femmes par des hommes en position d’autorité.

Elle a un message à faire passer aux personnes qui achètent les vêtements qu’elle confectionne : “Cela me rend heureuse qu’ils portent ce que j’ai fait. Mais je veux qu’ils sachent que c’est plus qu’un morceau de tissu. Ce vêtement m’a coûté mon sang, ma sueur et ma dignité. J’ai sacrifié tout cela pour fabriquer un pantalon que vous allez porter et trouver confortable.”

Shopna a été harcelée par un directeur d’usine qui multipliait les propos et les gestes "déplacés". Il insistait pour qu’elle reste après le travail, mais elle refusait. Un matin, alors qu’elle était arrivée en avance par rapport à ses collègues, il l’a violemment agressée.

Au cours de l'enquête d'ActionAid Bangladesh, 72% des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de grande violence verbale au travail.

Beaucoup de travailleuses sondées rapportent avoir été attrapées, tripotées et frappées à la tête pour ne pas avoir atteint les objectifs.

Une femme, Parul [prénom modifié], dit qu’un jour, quelque chose d’“indécent” s’est produit pendant que la plupart des autres ouvrières étaient sorties pour déjeuner. C'est-à-dire qu’une femme a été agressée sexuellement dans l’usine.

Une autre ouvrière explique : “Si nous sommes incapables de répondre aux exigences de production, le supérieur devient injurieux, nous bat, ou nous propose des choses révoltantes. Si nous ne nous conformons pas aux exigences, alors nous sommes harcelées à longueur de temps, verbalement et sur nos téléphones portables.”

Beaucoup disent s’être plaintes au sujet du comportement de leurs supérieurs masculins, mais rien n’a été fait pour y remédier.

“Ils nous tripotent et nous malmènent quand nous ne parvenons pas à atteindre les objectifs de production” dit une femme. Avant d’ajouter : “Nous nous sommes plaintes auprès du directeur, qui ne nous a prêté aucune attention et qui nous a, à son tour, insultées et menacées de nous jeter dehors. Nous souhaitons toutes continuer de travailler uniquement pour le bien de nos familles. S’ils arrêtent cela, alors nous pourrons travailler paisiblement.”

Ouvrière dans une usine textile du Bangladesh — Nurjan [prénom modifié], 26 ans, travaille dans l'industrie du textile à Dhaka depuis près de 10 ans. Elle travaille en tant qu'ouvrière pour une moyenne de 60 heures par semaine.
Nurjan : « Parce que je suis une femme célibataire et que je ne suis protégée par aucun homme, mon superviseur pensait que j'étais vulnérable et exposée. Il avait l'habitude de me tripoter au travail,.»

Nurjan explique que « la violence verbale est extrêmement courante. Si nous commettons une erreur, notre supérieur nous compare à des prostituées et l'usine à un bordel. Nous travaillons dur pour gagner de l'argent, nous ne devrions pas être traitées de cette façon ».

Une Convention sans précédent pour lutter contre les violences et le harcèlement au travail

A l’issue de la 108ème Conférence Internationale du Travail, une Convention internationale, accompagnée d’une recommandation, contre les violences et le harcèlement au travail ont été adoptées par plus de 6 000 délégué·e·s représentant les gouvernements, les travailleur·se·s et les employeur·se·s des 187 Etats membres du Bureau International du Travail. Bénéficiant d’un large soutien en faveur de son adoption, cette Convention va contraindre les pays qui la ratifieront à mettre en place des mesures allant dans le sens de la disparition de la violence et du harcèlement au travail.

Comment cette enquête a-t-elle été réalisée ?

Notre fédération internationale a commandé au Centre pour le Développement des Communications une enquête auprès de 200 travailleur·euse·s de l’industrie du textile en mai 2019.

ActionAid Bangladesh s’est assuré que l’enquête auprès des ouvrier·ère·s du textile soit menée de manière respectueuse. Les travailleur·euse·s ont été informé·e·s sur le contenu du questionnaire avant d’y participer, ont eu la possibilité de ne pas répondre aux questions qu’ils·elles jugeaient éprouvantes, et des informations ont été données sur les services susceptibles d’aider les victimes de violences sexuelles et de harcèlement.

Les travailleur·se·s ayant contribué à l’enquête participent à des “Cafés des Travailleurs”, soutenus par ActionAid Bangladesh à Dhaka où ils bénéficient d’informations et de soutien concernant leurs droits.
Des pseudonymes ont été utilisés pour protéger l’identité des travailleuses.

Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site d'ActionAid International.

Crédits photographiques: Fabeha Monir/ActionAid

Bangladesh

Enquête : violences et harcèlement dans l'industrie textile