Plusieurs pays de l'Afrique de l’Est ont développé la culture de fleurs. En quelques années le Kenya est ainsi devenu le second exportateur de roses vers la France, derrière les Pays-Bas. Le développement du secteur a poussé les pays voisins à investir, et notamment l’Ouganda où les premières serres sont apparues dans les années 90. Depuis, le secteur s'est fortement développé et les fleurs coupées sont devenues l'une des principales sources de revenu du pays, qui a exporté environ 7000 tonnes de fleurs entre 2018 et 2019.

Un secteur en pleine expansion... mais à quel prix ?

Actuellement, l'Ouganda compte une quinzaine d'exploitations florales, membres de l'Association des exportateurs de fleurs d'Ouganda (UFEA). Parmi ces entreprises, trois sont filiales à 100 % d'entreprises néerlandaises et cinq sont partiellement détenues par des investisseurs étrangers. La plupart des fleurs produites - souvent des roses - sont exportées vers l'Europe : Pays-Bas, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et France (d'après un rapport de Rose Gawaya en 2016).

Les exploitations floricoles employaient 7 335 personnes au total à la fin du mois de mai 2020, dont 70% de femmes.

Pour obtenir un rendement élevé, certaines de ces exploitations exigent la récolte d'au moins 6000 tiges par jour, pour un salaire journalier d'environ 2 euros... c'est-à-dire bien moins que le prix d’une seule de ces fleurs à la vente. En période de pointe, c'est-à-dire pour la Saint-Valentin, la Fête des Mères ou les fêtes de fin d'année, il arrive que les journées s'étirent sur 11 heures ou 12 heures.

Ce rythme et la nature du travail demandé entraîne des douleurs au dos et à la poitrine lors de la récolte, ainsi que de nombreuses coupures dues aux épines et au manque de protection adéquate.

La pandémie exacerbe ces violations de droits

Au cours des trois premières semaines de la pandémie, les fermes ont annulé 70 à 100 % de leurs commandes. Durant le gros de la crise, les exploitations floricoles ont réduit leur effectif de 50 %. La moitié des ouvrières ont été renvoyées chez elles, sans aucun revenu, et les autres ont souvent dû redoubler d'efforts.

Les exploitations ont imposé à leur main-d’œuvre de dormir sur place, conformément aux directives gouvernementales, et fermé les garderies. Aussi, les femmes ayant des enfants ont dû rester chez elle pour en prendre soin. Logées dans des conditions rudimentaires, celles qui ont conservé leur emploi ont bien souvent multiplié les heures supplémentaires, sans pour autant voir leur salaire augmenter... alors que les prix des biens de première nécessité augmentaient significativement dans le pays.

Des violences sexistes et sexuelles endémiques

Ce secteur d'activité présente tous les facteurs de risques connus : des cadres majoritairement masculins pour une main-d’œuvre essentiellement féminine, des contrats précaires, une situation de vulnérabilité économique et une culture de l'impunité pour les violations de droits au travail.

Peu de plantations ont pris des mesures concernant les violences sexistes et sexuelles au travail alors que la loi ougandaise l’exige. Celles qui ont instauré ces réglementations n’ont pas de structures viables ni de moyens de vérification de leur mise en place. Et les entreprises qui importent ces fleurs pour les vendre sur le marché européen, notamment en France, semblent peu s’en soucier.

Or la responsabilité des entreprises acheteuses et distributrices de ces fleurs en Europe est engagée car elles profitent de cette exploitation et, par leurs pratiques d’achat, maintiennent une telle pression sur les prix que le respect des normes de sécurité et du droit du travail paraît incompatible.

Dans le cadre du projet De l’invisibilité à l’égalité : défendre les droits des femmes aux travail soutenu par l’Agence Française de Développement (AFD), ActionAid Ouganda a réalisé une enquête sur le sujet récemment et estime que les violences sexistes et sexuelles se sont aggravées, en raison de la vulnérabilité accrue des ouvrières.

Une législation à réformer et à faire appliquer

Le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est interdit par la loi ougandaise. Selon la loi sur l'emploi de 2006, dans un établissement de plus de 25 travailleur∙se∙s, l'employeur doit publier une déclaration de politique générale sur le harcèlement sexuel. Il doit prendre des mesures pour s'assurer que les travailleuses ne sont pas soumises au harcèlement sexuel et sanctionner de manière appropriée les auteurs de harcèlement.

En outre, la déclaration de politique générale doit également décrire la procédure par laquelle une personne peut porter les plainte. Le règlement de 2012 sur l'emploi stipule également que les auteurs sont passibles d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement de trois mois, ou des deux.

Les difficultés résident dans le fait que la loi n’est pas appliquée. En premier lieu, très peu d'exploitations ont adopté de telles politiques. D'autre part, le seuil de 25 travailleur∙se∙s est trop élevé car de nombreuses femmes, embauchées à la journée, ne sont pas comptées dans les effectifs. En second lieu, quand ces politiques existent, elles ne sont pas sérieusement appliquées.

Peu de plaintes sont transmises aux directions car les ouvrières craignent les représailles, doutent du respect de leur anonymat et craignent d’être pointées du doigt et ostracisées par leur conjoint ou leur communauté.

Une Convention internationale existe, il faut la faire appliquer

ActionAid Ouganda et ses partenaires demandent à l’Ouganda de ratifier la Convention 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail, et de mettre en œuvre les réformes appropriées pour garantir son effectivité.

Photo : Carl Russell pour Pixabay

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